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Clément Massier, l'un des plus brillants représentants de la céramique française du début du XXe siècle, voit le jour en 1844, à Vallauris, dans un monde dominé par les idées du romantisme européen, politiquement et par la rigueur néoclassique, dans le domaine artistique. plan. Vallauris, ville pittoresque des Alpes Maritimes, inscrite sur la carte culturelle par le génie de Picasso, est située au cœur de la Côte d'Azur, à l'intersection des célèbres stations balnéaires de Cannes et de Nice. Personnalité solaire et dynamique, Clément commence son apprentissage dans l'atelier de son père Jacques (1801-1871) à l'âge de douze ans, en 1856. Il y crée des pièces en série, mais aussi des pièces gaies, d'une grande sophistication, où les formes et les décorations Louis-Philippe se retrouvent dans la haute couture. Doté d'un sens artistique précoce, Clément Massier ressent le besoin de changement. Le talent inné combiné à une curiosité frénétique le conduit à acquérir rapidement l'alphabet du métier, mais le rôle déterminant dans sa formation de futur artiste est joué par le céramiste italien Gaetano Gandolfi. La rencontre avec Gandolfi, en 1859, représente le tournant de sa carrière artistique : intériorisé, capricieux et misanthrope, Gaetano Gandolfi est finalement désarmé par la franchise, l'intelligence et la passion de son jeune collègue.

Le rugissement des grands événements politiques de la capitale française s'efface dans le silence de l'atelier où il travaille aux côtés de ses cousins Delphin Massier (1836-1907) et Jean-Baptiste (1850-1916). La révolution de juillet 1848, le coup d'État de l'automne 1852, lorsque Napoléon III proclama le second Empire français semblent irréels dans la quiétude provinciale de Vallauris. Le bon monde des métropoles européennes se rassemble avec la même régularité chaque saison sur la Côte d'Azur et la vie semble continuer sans relâche. Rares sont ceux qui ressentent les mutations fondamentales que l’art, sous l’impulsion des idées philosophiques et du journalisme spécialisé, enregistre vers la fin du XIXe siècle. Marqué par les conquêtes de la révolution industrielle, l'art se veut récepteur de son esprit dynamique, dans une société qui penche de plus en plus vers une mondialisation avant la lettre. Catalysées par l'invention du cinéma en 1895 et par l'apparition inattendue dans le paysage décadent de plusieurs villes de province européennes de personnalités célèbres, déterminées à détourner l'art de sa patrie vidée de son inspiration, les idées du nouvel art sont synthétisées par l'Art Nouveau. Construit sur les ruines d'une société en pleine mutation, l'Art nouveau trouve son expression la plus fidèle dans le domaine des arts décoratifs. Le terrain sur lequel il évolue en France a été préparé par une société imprévisible, qui prête à l'art la fébrilité et la polyvalence de la vie politique.

Située à la frontière entre verrerie et orfèvrerie, la céramique connaît un développement maîtrisé : elle ne bénéficie pas de la notoriété de la verrerie française due aux brillantes productions de Gallé ou de Lalique, du début du siècle ou du dynamisme de l'industrie de la joaillerie de luxe, mais son prestige ne cesse de croître. La céramique n’a pas la valeur du métal précieux ni la transparence insinuante du verre. Opaque, peu spectaculaire, il répond plutôt à des exigences intellectuelles. Le souci de la forme de l'Art nouveau est de plus en plus corroboré par l'utilitarisme et la fonctionnalité. À première vue, l'attention de la société à la céramique semble limitée. En réalité, Paris, capitale européenne de la culture, accueille des événements de grande envergure dans le domaine. Entre les années 1895 et 1914, les progrès de l'industrie céramique sont présentés dans quatre salons annuels : Salon de La Société des Artistes Français, La Société des Artistes Décorateurs, La Société Nationale des Beaux-Arts et Le Salon d'Automne, tandis que le Les galeries Georges Petit, Drouet et Manzi-Joyart accueillent des expositions temporaires de céramiques. Comme la plupart des arts décoratifs, la céramique traverse encore une période de mutations majeures. La première réaction contre les schémas anciens est l'abandon des motifs et des formes prédilectionnées du style Louis-Philippe, geste salué dans l'exposition-manifeste, organisée en 1897 et intitulée Exposition de Céramiques sur le Champs-de-Mars. Le détachement des trois manufactures de céramique de Vallauris, dirigées par la famille Massier, des modèles établis est lent et inégal. Pour Clément, la routine quotidienne de l'atelier parental devient peu à peu oppressante.

Le plus réactionnaire des membres de la famille, le plus assoiffé d'innovation, Clément renonce à ses anciens collaborateurs et se lance seul dans une aventure artistique qui le mènera vers les sommets de la consécration. En 1883, Clément Massier fonde son propre atelier, dans la ville de Golfe-Juan, à l'intersection des deux villes phares des loisirs mondiaux, Nice et Cannes, située non loin de Monaco, la principauté des gros paris. Le premier geste de rupture avec le passé fut l'abandon de la céramique standard. Habilement guidé par Gaetano Gandolfi, Clément Massier aborde de nouvelles techniques et se perfectionne dans l'utilisation des émaux, développant une production d'un grand raffinement, dans laquelle se laissent entrevoir les bourgeons du nouveau style. Pour Clément Massier, ses pièces doivent allier la beauté inégalée du paysage méditerranéen et les explosions florales de Provence. L'artiste séduit sa clientèle par l'éclat des émaux irisés, aux reflets métalliques, dans lesquels se retrouve toute la palette du spectre. Collaborer avec Gaetano lui ouvre les portes d'un monde paradisiaque, dont il sait exploiter pleinement les splendeurs.

Clément Massier était non seulement un créateur de talent, qui excellait dans son domaine, mais aussi un entrepreneur d'une grande polyvalence. Conscient des avancées techniques et des nouvelles tendances de la société occidentale, Clément Massier gère son entreprise avec beaucoup de savoir-faire. Stratégiquement situé, à proximité de la voie ferrée, l'atelier Clément Massier conquiert des marchés de plus en plus vastes. Bénéficiaire d'une riche clientèle, issue des rangs de l'aristocratie ou de la bourgeoisie aisée, Clément Massier voit bientôt ses efforts récompensés. Il met en mouvement un véritable réseau commercial européen, grâce à la publication détaillée des pièces dans des catalogues élaborés sous sa coordination directe. Véritable entrepreneur, il inaugure des succursales de l'atelier à Paris et dans plusieurs villes allemandes. Peu de temps après le lancement de l'entreprise, en 1887, vient le premier moment de reconnaissance : la Maison Royale britannique lui confère le titre honorifique de fournisseur royal. Deux ans plus tard, après des expérimentations élaborées et des recherches assidues, Clément Massier est plus déterminé que jamais à conquérir le monde. En 1889, il participe pour la première fois à une exposition à grande échelle et remporte la médaille d'or avec des pièces d'inspiration hispano-mauresque. La clé de son succès immédiat réside dans son talent commercial, mais surtout dans sa soif de perfection.

Clément Massier s'entoure d'une pléthore de personnalités, issues de domaines variés, dont la maîtrise contribue à élever le niveau artistique du carrelage Massier. Les collaborateurs les plus brillants sont le sculpteur écossais Alexandre Munroe, le céramiste Félix Optat Milet, formé à l'atelier de Sèvres, le sculpteur James Vilbert et le peintre Jules Scalbert. Entre 1887 et 1895, Lucien Lévy-Dhurmer occupe le poste de directeur artistique de l'atelier et son empreinte sur la création est majeure. Artiste polyvalent, Lucien Lévy-Dhurmer (1865-1953), acquisition la plus importante de l'atelier, montre son talent dans divers domaines, de la peinture et de la gravure à la décoration intérieure et au mobilier. Créateur d'une peinture symboliste raffinée, il se démarque dans la technique du pastel, usant d'un chromatisme raffiné, aux accents dramatiques. En 1892, Lévy-Dhurmer signe ses premières pièces en céramique de Golfe-Juan. Fasciné par le monde islamique, dont de vagues échos se font encore sentir dans le folklore local, issu de la vieille poésie provençale, d'origine arabe, Lévy-Dhurmer crée une large palette de formes et de décors d'inspiration arabe, mais aussi des pièces d'inspiration persane sassanide. imitation. Ses vases en faïence, recouverts d'une glaçure turquoise irisée, calqués sur les vases persans, ravissent les collectionneurs d'art et les acheteurs fortunés. Il rejoint ainsi un large courant artistique orienté vers les valeurs de l'art oriental ou extrême-oriental. Après 1896, année où l'artiste considère son apprentissage dans l'atelier de Clément Massier terminé, ses idées sont développées par le maître, qui les applique aux nouvelles formes fluides et dynamiques du style Art Nouveau.

Doté d'un sens particulier de la couleur, il opte pour des combinaisons inhabituelles de vert-violet-orange ou de rouge bleu-violet intense, recourant souvent au monochrome ou au teinté. Ses décors, inspirés du monde végétal, restent un hommage à la peinture symboliste et à l'Art nouveau. Stylisés, sans négliger les détails essentiels, pris dans un tourbillon de lignes sinueuses et dynamiques, qui enveloppent les formes dans un réseau organique de tiges, vrilles et pétales, les vases de Clément Massier respirent l'élégance et la vitalité. Des accents décoratifs d'une grande délicatesse, des couleurs pastel ou dramatiques, au grand pouvoir de suggestion visuelle, les transforment en chefs-d'œuvre du genre.

Le travail de Clément Massier se caractérise par une variété stylistique et décorative. L'artiste maîtrise le langage des styles au même degré que le répertoire décoratif. Au fil du temps il crée des pièces greffées sur des formes néoclassiques, renaissance et Art nouveau, parfois empreintes d'éclectisme, les navires de Golfe-Juan dominent un marché de plus en plus concurrentiel. Vers le milieu du XXe siècle, les motifs stylistiques tendent progressivement à se simplifier, et les formes se réduisent à leur essence. Après 1905, la création de Clément Massier, ayant atteint sa maturité artistique, se réoriente vers la céramique culinaire de luxe, vers les objets utilitaires (cendriers, boîtes à épingles à cheveux) et architecturaux, comme les carreaux d'art. En 1917, en pleine Seconde Guerre mondiale, le maître décède, laissant derrière lui une activité florissante qui durera jusqu'en 1990. Aujourd'hui, dans l'ancien atelier transformé en musée, sont présentées des expositions consacrées à la céramique Massier, ainsi que des expositions de peinture, graphiques et dessins.

Dans la collection de céramiques du Musée National de Peleş, est conservé le récipient en faïence Art Nouveau, modelé sur la roue et décoré de motifs stylisés, de fleurs fuchsia, qui recouvrent uniformément son corps, comme un tapis végétal. Le positionnement atypique des petites poignées droites de part et d'autre de la pièce, près de la base, en groupes asymétriques d'une et quatre poignées et de trois autres, près de l'embouchure, confère à la pièce un caractère moderne. Le dessin délicat, exécuté avec de fins traits d'émail, sur l'émail métallique rouge brique en dégradé, révèle le modèle. Colorée dans des tons brique avec des accents de violet et de cyclamen, la décoration florale capitalise sur la forme élégante de la pièce, inspirée des anciens récipients de pharmacie Albarello. Véritablement royale, la poterie Massier est largement imitée par de nombreux céramistes de l'époque, comme le Hongrois Zsolnay-Pecs et l'Américain Samuel Weller. Contemporain de créateurs célèbres, comme Ernest Chaplet, inventeur de la technique de l'empâtement, Émile Müller, qui posa les bases du grès qui porte son nom, ou Émile Decoeur, avec des pièces inspirées des céladons d'Extrême-Orient, Clément Massier a su trouver la note juste et originale de la grande symphonie de l'art céramique français à l'aube du XXe siècle.
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